AUP graduation ceremony at the Théâtre du Châtelet in Paris.

VIRTUAL CONFERENCE

Well-being / Bien-être Conference

Virtual Conference | Registration Required
Wednesday, October 21, 2020 - 15:00 to Thursday, October 22, 2020 - 18:30

Colloque en ligne organisé par la The Tocqueville Society/La Société Tocqueville et The Center for Critical Democracy Studies at The American University of Paris. 

Information on accessing the conference sessions will be shared with all registrants 24 hours in advance of the start of the conference.

In his Democracy in America (volume 2, 1840), Tocqueville makes the passion for well-being a consequence of equality. When "ranks are mingled and privileges destroyed, when patrimonies divide and enlightenment and liberty spread, the desire to gain well-being occurs to the imagination of the poor, and the fear of losing it to the mind of the rich." (Vol. II, Part 2, Chapter 10).  Tocqueville paints a bleak picture of a constant threat within democratic society, in which we are alienated by the search for "small and vulgar pleasures" and subject to the "soft despotism" of a political power that "likes citizens to rejoice provided they only think of rejoicing.” It is a nation that "willingly works for their happiness, but wants to be its sole agent" and "which thus reduces each nation to a herd of timid and industrious animals whose government is the shepherd" (II, 4, 6).

He concludes, nonetheless, that what most satisfies government "is the greatest welfare of all" (II, 4, 8) and that no government can be stable if it does not satisfy this democratic passion. Tocqueville's vision proved prophetic, and welfare did indeed become a central feature of modern governance. With the Welfare State emerging as a dominant form of state across the 20th century, assuring the well-being of citizens became an indispensable mode of governance necessary for the regulation of economic growth, for the protection of citizens and for guaranteeing their standard of living against the incessant crises of capitalism and life’s hazards. But this consensus on the nature and value of well-being and the economic growth that makes it possible has once again been called into question by the contemporary crises of pandemic, representative democracy, financial capitalism and the inequalities it engenders as well as the threats to the environment posed by the race to consume and to ensure our material well-being. 

It is therefore an opportune moment to return to the very notion of well-being and to take stock of its different competing conceptions. Elaborated by the Enlightenment, particularly by materialist philosophers and English utilitarians, the notion of "well-being" ran through the entire 19th century, from works of political and social theory to novels that presented the new economy of desire. In this tradition, it is not always easy to distinguish between "comfort" - the word appeared in 1815 -, the satisfaction of material needs and the feeling of fullness or happiness. In On Liberty (1859), John Stuart Mill made his own case to Tocqueville that well-being could not be reduced to pleasure or to hedonism and that freedom as well as individuality were constituents of well-being. More than a century later, when Amartya Sen introduced the notion of "capabilities," it was precisely to introduce the freedom to act into the calculation of well-being: well-being could not be measured only by the level of consumption and the quantity of resources available, but included the capacity of each person to transform them into utilities, into well-being. The measurement of well-being by expressed preferences alone was thus called into question, and the role of political institutions, social and gender relations, as well as collective imaginaries in shaping individual expectations, could no longer be underestimated.

The aim of this multidisciplinary colloquium will be to bring together philosophers, historians, economists, sociologists and colleagues in French and in English to explore together the different conceptions of well-being at stake and their critiques.

 


 

Dans De la Démocratie en Amérique (1840), Tocqueville fait de la passion du bien-être la conséquence de l'égalité. Lorsque « les rangs sont confondus et les privilèges détruits, quand les patrimoines se divisent et que la lumière et la liberté se répandent, l'envie d'acquérir le bien-être se présente à l'imagination du pauvre et la crainte de le perdre à l'esprit du riche » (II, 2, 10). Tocqueville dresse un tableau noir de ce qui menace les sociétés démocratiques, aliénées par la recherche de «petits et vulgaires plaisirs» et soumises au « despotisme doux» d’un pouvoir politique qui « aime que les citoyens se réjouissent à condition qu’ils ne songent qu’à se réjouir », « qui travaille volontiers à leur bonheur, mais veut en être l’unique agent » et « qui réduit ainsi chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger » (II, 4, 6).

Il n'en conclut pas moins que ce qui satisfait le plus les regards du créateur, « c'est le plus grand bien- être de tous » (II, 4, 8) et qu'aucun gouvernement ne peut être stable s'il ne satisfait cette passion démocratique. La vision de Tocqueville s’est avérée prophétique et le bien-être est effectivement devenu une affaire d’État, le Welfare State s’imposant aux États au cours du XXe siècle comme le mode de gouvernance indispensable pour réguler la croissance économique, protéger les citoyens et garantir leur niveau de vie contre les crises incessantes du capitalisme et les aléas de la vie. Mais ce consensus sur la nature et la valeur du bien-être ainsi que de la croissance économique qui le rend possible est de plus en plus remis en question par la crise sans précédent que nous traversons, une crise à la fois des démocraties représentatives, du capitalisme financier et des inégalités qu’il engendre, des États-providence comme des menaces sur l’environnement que fait peser la course à la consommation et au bien-être.

Le moment est donc opportun de revenir sur la notion même de bien-être et de faire le point sur les différentes conceptions qui s’affrontent. Élaborées par les Lumières et notamment par les philosophes matérialistes, et par les utilitaristes anglais, la notion de « bien-être » parcourt tout le XIXe siècle, qu'il s'agisse des travaux des publicistes ou des romans qui donnent à voir la nouvelle économie des désirs. Il n'est pas toujours aisé de distinguer dans le bien-être ce qui relève du « confort » – le mot apparaît en 1815 –, de la satisfaction des besoins matériels et du sentiment de plénitude ou de bonheur. John Stuart Mill, dans De la Liberté (1859), répondait à Tocqueville que le bien-être ne se réduit pas au plaisir, à l’hédonisme, et que la liberté comme l’individualité sont des constituants du bien-être. Quand Amartya Sen introduit la notion de « capabilités », c’est justement pour introduire la liberté d’agir dans le calcul du bien-être : celui-ci ne peut se mesurer seulement par le niveau de consommation et la quantité de ressources disponibles, mais inclut la capacité de chacun de les transformer en utilités, en bien-être. La mesure du bien-être par les seules préférences exprimées est ainsi remise en question et le rôle des institutions politiques, des rapports sociaux et de genre, comme des imaginaires collectifs pour façonner les attentes de chacun ne peut plus être sous-estimé.

Le but de ce colloque pluridisciplinaire sera de réunir philosophes, économistes, sociologues et collègues du monde francophone et anglophone afin d’explorer ensemble les différentes conceptions du bien- être en jeu et leurs critiques.

 

Program – Day 1 (Wednesday, October 21, 2020, 15:00–18:00 CEST) – Download

Président de séance : Stephen Sawyer (Director of the American University of Paris)

15:00–15:15: Stephen SAWYER (AUP): Présentation
15:15–15:45: Eloi LAURENT (Sciences-Po et Stanford): Human Well-being and the Biosphere: Connecting the Circles

"While ecological crises are worsening before our eyes, existing models and frameworks do not connect enough the degradation of natural systems with the differentiated responsibility and vulnerability of human groups. This presentation will attempt to articulate human well-being and the preservation of the Biosphere, using a social- approach and insisting on two critical nodes: the essential link between the health of ecosystems and the health of humans; the reciprocal relation between justice and sustainability."

15:45–16:15: Stephen Sawyer, Democratic Society, Civil Society and the Problem of Well-Being

  

16:15–16:45: LI HONGTU (Département d’histoire de l’Université de Fudan)

Traduction et réception du concept de bien-être en Chine. Étude autour de l’œuvre de John Stuart Mill (résumé en anglais et lecture par Catherine Audard).

16:45-17:15: General Discussion

Program – Day 2 (Thursday, October 22, 2020, 15:00–18:30 CEST) – Download

Président de séance : Michel Forsé (ENS)

15:00–15:30: Gérard CORNILLEAU (CNRS et Sciences Po) et Pierre MADEC (OFCE Sciences Po): Quelle mesure du bien être ?

"La mesure du bien-être matériel d’une société et de son évolution est une question toujours présente dans le débat public. Si l’on s’en tient à la mesure du seul bien-être matériel ressenti par les individus on est confronté au paradoxe de la stabilité à long terme du bien-être malgré la forte croissance des revenus et de la consommation du citoyen « moyen ». Pour tenir compte simultanément de la stabilité à long terme du bien-être et de son amélioration au cours de la courte période où la croissance est forte il faut disposer d’un indicateur qui combine le caractère « relatif » du niveau de bien-être d’une génération et l’impact « absolu » de la croissance du revenu, ici approximé par le PIB/habitant, en cours de vie. Pour cela il est possible de distinguer dans l’évolution du bien-être un effet d’âge et un effet de génération : chaque individu d’une génération est doté, au début de sa vie, d’un niveau de bien-être initial proportionnel au revenu relatif dont dispose sa famille. Par la suite le bien-être de chaque individu évolue comme le revenu réel dont il dispose. A long terme, cet indicateur dépend de la répartition du revenu (une réduction des inégalités augmente le bien-être social) et du taux de croissance de l’économie, la hausse du revenu par habitant conduisant à une augmentation durable du bien-être, puisque les générations en cours de vie bénéficient d’un bien-être plus élevé. Il évolue également positivement en fonction de la durée de la vie et du vieillissement car la part des générations ayant bénéficié d’une hausse du bien-être au cours de la vie augmente.

Le calcul de cet indicateur pour quatre pays, France, Italie, Etats-Unis et Grande-Bretagne de 1950 à 2000 avait montré que le bien-être a très fortement augmenté en France et en Italie dans les années cinquante à soixante- dix avant de stagner depuis les années quatre-vingt. Aux Etats-Unis et en Grande Bretagne l’évolution du bien- être aurait été nettement plus régulière. Si le taux de croissance du revenu par habitant se maintenait au niveau actuel en France et en Italie, le niveau de bien-être y diminuerait de 20 à 40 % en 2050 alors qu’il se stabiliserait au niveau actuel en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Dans les quatre pays une croissance économique de 2 % par an permettrait juste de stabiliser le niveau de bien-être à long terme. Ces résultats montrent que pour garantir le maintien d’un niveau élevé de bien-être social la politique économique doit viser dans le long terme à la fois un taux de croissance économique élevé et la réduction des inégalités. On se propose ici de reprendre ce calcul pour l’actualiser sur la période récente et tenter de vérifier l’impact de la hausse des inégalités dans un contexte de faible croissance qui peut conduire mécaniquement à une crise sociale d’ampleur. On discutera aussi des perfectionnements envisageables de l’indicateur qui pourrait être calculé au cours de la période récente à partir de micro données et intégrer un indicateur d’évolution du revenu fondé sur le reste à vivre plutôt que sur le revenu total."

15:30–16:00: Philippe VAN PARIJS (Université de Louvain-la Neuve) Revenu de base et bien-être

" Les recherches empiriques, en particulier l’expérimentation finlandaise, permettent de dire quelque chose sur l’impact qu’aurait l’instauration d’un revenu de base inconditionnel sur le bien-être de ses bénéficiaires. Mais elles ne permettent pas de dire grand-chose sur l’impact qu’elle aurait sur le bien-être total de la population concernée. A supposer qu’elles le puissent, quelle importance l’investigation de cette question empirique peut- elle avoir pour l’évaluation de la proposition d'instaurer un revenu inconditionnel ?"

16:00–16:30: Simon LANGLOIS (Université Laval, Québec): Consommation marchande et bien-être

Les ménages obtiennent les biens et services nécessaires au bien-être de leurs membres en bonne partie dans la sphère marchande. La marchandisation des biens et des services est désormais largement étendue, que ce soit pour la nourriture, le logement, les vêtements, les loisirs, les pratiques culturelles, les soins personnels, le transport, etc. Bien entendu, le bien-être ne se réduit pas à la consommation marchande, mais cette dernière est désormais incontournable à la suite de la division du travail (Durkheim) et de l’urbanisation (Weber) comme le montrent les débats sur le pouvoir d’achat en France et les politiques de soutien du revenu en contexte actuel de pandémie dans les sociétés développées. Nous analysons la convergence transversale et temporelle des comportements de consommation entre classes socioéconomiques à partir des enquêtes budgétaires canadiennes de 1969 à 2018 avec une approche qui prend en compte le caractère relatif des besoins sociaux (Simmel, Tocqueville, Sen, etc.). À cause de la hausse du niveau de vie sur le long terme, les diffusions transversale et longitudinale entre les classes socioéconomiques vont dans le même sens pour la majorité des fonctions de consommation (régression du poids de l’alimentation et hausse du poids des fonctions transports, logement, loisirs, NTIC, habillement, protection et dépenses diverses), mais les deux types de diffusion n’évoluent pas au même rythme. Les ménages aisés accroissent leurs efforts budgétaires plus rapidement que les ménages pauvres et de classes moyennes inférieures pour satisfaire les nouveaux besoins. Une loi de consommation se dégage des données portant sur un demi-siècle : quand un poste de consommation est dynamique temporellement (i.e. son coefficient budgétaire augmentant plus rapidement lorsque le revenu s’accroît entre deux périodes), il est plus différencié socialement.

16:30–17:00: Michel FORSÉ (CNRS-CMH) et Maxime PARODI (OFCE-Sciences Po): Sentiments de justice sociale et de bien-être

"Il est à présent communément admis que l’étude du bien-être se doit d’incorporer une mesure de la satisfaction à l’égard de la vie que l’on mène. Cette satisfaction est ici analysée à l’aide d’une question posée dans deux sondages réalisés en France en 2009 puis 2013 sur la perception des inégalités et les sentiments de justice. Les 3 incidences sur le bien-être subjectif du revenu, de la vie professionnelle, de la mobilité sociale et de la frustration relative ou plus largement de la comparaison aux autres, ainsi que des relations sociales et affectives sont mises en évidence. Mais il apparaît aussi une forte corrélation avec les sentiments à l’égard de la justice de la société dans son ensemble. Ce lien n’était pas donné d’avance, puisqu’il s’agit dans un cas d’un jugement sur sa vie personnelle et, dans l’autre, sur la société prise globalement. Il peut cependant trouver une explication dans des théories de la justice et notamment celle de Rawls. C’est en tous cas là une dimension explicative qui ne se réduit pas aux autres, ni même à la simple perception des inégalités, et il serait dès lors opportun, pour mieux comprendre le bien-être subjectif, qu’à côté de tous les indicateurs classiquement utilisés et qui jouent leur rôle, il soit davantage tenu compte de cette relation avec les sentiments de justice sociale."

17:00–17:30: Discussion générale

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